La prophétie : une passerelle entre les mondes


Discuter de religion, de prophétie et d’autres termes relevant du lexique de la spiritualité est fréquemment sujet au dédain. Ce dédain ne provient pas seulement d’une aversion, mais aussi d’un malentendu sur leur signification réelle. Il y a une méconnaissance sur le sujet. Si la poésie touche au ressenti et la philosophie à la réflexion, la prophétie s’attache à l’intention.

La prophétie, souvent perçue avec scepticisme, est un pourtant un concept riche en significations et implications. Elle transcende la simple prédiction pour devenir une passerelle entre les mondes, influençant notre perception de la réalité et notre comportement. Cet article explore la nature multidimensionnelle de la prophétie, en particulier celle de Jésus, et son impact sur la transformation de la vision du monde et de l’au-delà.

Qu’attendre?

Aucune prophétie ne se limite, dans l’acception commune du terme, à prédire l’avenir. En lisant la Bible, on pourrait penser que toutes les prédictions futures ont déjà eu lieu ou sont encore à venir. Par exemple, quand Jésus affirme : “Ce monde-ci et le ciel passeront, mais mes paroles ne passeront jamais” (Matthieu 24.35), il est interprété comme annonçant la fin des temps : une apocalypse, qui signifie originellement une révélation sur l’avenir, même si avec le temps, ce terme grec a pris le sens de “fin du monde”, ce qui dénature quelque peu le sens premier.

Nous pouvons voir cette prophétie de plusieurs façon:

  1. comme une réelle promesse que le monde va terminer, arriver à sa fin. Dans ce cas, on est dans l’attente d’une fin du monde et on s’y prépare.
  2. comme une prophétie déjà réalisée, en ce qu’après sa venue, toute la vision du monde, et de l’outre-monde, se sont trouvées radicalement transformées. Dans ce cas, la fin du monde a déjà été réalisée et nous sommes plus en train de comprendre ce qui s’est déjà passé.
  3. comme une révélation fausse en ce que ça fait plus de 2000 ans que le monde n’a pas passé, malgré qu’il a dit qu’il le ferait. Dans ce cas, plus le temps passe, moins on est prêt à la fin du monde, moins on croit qu’elle va arriver.

En général, il existe trois façons d’interpréter les prophéties. Premièrement, nous pouvons les considérer comme des certitudes si nous faisons confiance à celui ou celle qui les prononce. Deuxièmement, elles peuvent être perçues comme des divagations si nous doutons de la crédibilité de la personne. Troisièmement, avec un esprit critique et du discernement, nous pouvons rechercher l’élément de vérité présent dans toutes les prophéties. En effet, les prophéties ont ceci qu’elles sont assez larges, pour permettre le libre champ à l’interprétation et assez précises pour donner du corps à ces interprétations.

Comme il y a peu à dire sur les prophéties comme des révélations fausses autres qu’elles sont fausses, nous allons simplement noter que, en effet, il est impossible ou très difficile de voir l’avenir. Cependant, certains neuro-types sont très bons pour discerner les motifs dans la nature ou le comportement humain, et peuvent ainsi prédire l’avenir avec une certaine limite. Il y a aussi peu de plus à dire, comme la prophétie, comme une réelle promesse, car celle-ci exige une foi aveugle en la personne qui les prononce. Ce qui s’avère intéressant à étudier, c’est d’une part, le comportement et comment il se modifie après avoir entendu le prophétie, que l’on y croit ou que l’on y croit pas, et d’autre part comment peut-on passer au-delà d’une prophétie en montrant qu’elle est bien vraie, mais déjà réalisée.

Le nouveau monde chrétien

Commençons donc par étudier comment la prophétie de Jésus s’est déjà réalisée. Depuis son passage, la religion d’Israël n’existe plus. On se trouve maintenant avec deux religions qui ont été causés par le passage de Jésus, soit le christianisme et le judaïsme. Le judaïsme a beaucoup évolué depuis le passage de Jésus et serait devenue une autre religion encore (par exemple, elle croit en la réincarnation, ce qui n’était pas le cas il y a deux mille ans). Mais pour les besoins de cet article, prenons le judaïsme antique tel qu’il était à l’époque de Jésus.

En effet, la religion d’Israël à l’époque où le judaïsme antique. N’avait pas, ne connaissait pas de paradis ou d’enfer. Lorsqu’on mourrait, on allait dans une sorte de néant, le Shéol. Donc après la, après la vie, il y avait la mort, et la mort était la fin, sauf pour quelques heureux qui auront droit à une résurrection dans un avenir lointain : notre être était condamné au néant. Les contradictions et la résurrection de Jésus ont tous deux démontré que le monde était autre que ce qu’on le croyait. Sa résurrection, par la magie sympathique a démontré que la vie après la mort était possible pour nous tous, car il nous représentent en tant qu être humain (il est comme nous) et qu’il a survécu à la mort. Par ses contradictions, il nous a mis devant un défi de réexpliquer le monde. Prenons l’exemple suivant :

Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort.

Jean 11.25

Dans la citation ci-dessus, Jésus se contredit directement. Or, si nous croyons en ce qu’il dit, notre problème est alors celui-ci : comment réconcilier ses contradictions et notre vision du monde? En effet, ce que Jésus disait était non seulement contradictoire, mais incompatible avec la structure du monde tel qu’elle était comprise. Eh bien, pour résoudre ces contradictions, pour valider Jésus, ils ont recréé le monde : ils ont créé le paradis et l’enfer et ont fait de la vie quelque chose de transitoire, une sorte de test pour gagner sa place dans l’arrière monde où se trouve le paradis.

Ce sont les actes et paroles de Jésus qui ont opéré une transvaluation des valeurs et une transformation du monde. Nous pouvons bien dire que sa parole est restée, et que le monde et le ciel ont passé: c’est cela qu’on appelle la Bonne Nouvelle. C’est la vie après la mort! Nous pouvons renoncer au monde antique, aux vieilles traditions, aux structures sclérosées de la famille1, et tous se réunir en Jésus comme individus. C’est ce que conclut Saint-Paul en disant:

Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit et un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. Le corps, en effet, ne se compose pas d’un seul membre, mais de plusieurs.

1 Corinthiens 12.13-14

Le monde chrétien se distingue profondément de l’antiquité. Souligner ces différences est crucial. Nous avons évolué d’un univers où les dieux étaient responsables de toutes les tragédies, à un monde affranchi de l’intervention divine. Saint Augustin appelait ces dieux auxquels on offrait des sacrifices, qu’on implorait de ne pas causer notre ruine, des démons. Mais le Dieu père de Jésus n’est même pas intervenu pour sauver son propre fils lors de sa crucifixion : dévoilant un monde où nous sommes libres de commettre nos propres erreurs. Il ne sauvera pas un innocent condamné à mort : c’est donc notre devoir de ne pas verser le sang des innocents. Nous sommes désormais garants de la justice sur Terre et devons rendre des comptes de nos actes après la mort. La parole de Jésus constitue le pivot entre l’ancien monde et arrière-monde ainsi que les nôtres. Avec Jésus, nous pouvons affirmer que ce monde et ce ciel sont révolus, mais que sa parole demeure.

Notez bien qu’il y a eu révélation du monde, voici en quoi c’est une apocalypse. C’est un dévoilement. Pas qu’il nous dévoile la fin et comment le monde va terminer. Mais il nous dévoile le monde est tel qu’il est. Une prophétie a donc quelque chose d’éternel.

Un Autre Avènement?

La perception que les prophéties sont toutes à venir peut mener à atteindre des conclusions de toutes sortes, telles qu’un prochain retour de Jésus-Christ. Nous n’avons qu’à lire les Évangiles pour voir qu’il a déjà eût un Second Avènement. Il est revenu et a dit qu’il est avec nous jusqu’à la fin de l’âge, selon le tout dernier verset de Matthieu. En ce sens, pour les Second Aventistes, c’est comme si Jésus n’est pas déjà là, comme s’il n’était pas présent et que ça n’était pas son programme que nous suivons.

Il a pourtant forgé le monde tel qu’on le comprend. Il a recréé le monde. Qu’ils aient atteint son retour, à la fin du monde, a quelque chose d’ironique. Ce dont les Second Adventistes prient et attendent, ce n’est rien d’autre que la fin de l’âge de Jésus-Christ, comme quoi son monde n’est que souffrance, et qu’ils ont hâte au paradis. C’est en quelque sorte lui dire que ce qui vient ensuite, le prochain age serait meilleur à coup sûr que ce qu’on a en ce moment.

Ceux qui prient pour un retour de Jésus-Christ sont bien souvent judaïsant : c’est le Judaïsme qui serait dans l’attente d’une venur prochaine du Messie. Un chrétien idéal-typique n’en est pas un qui attend la venue prochaine d’un Messie. Selon les Évangiles, il est déjà bel et bien venu. L’ère que nous vivons est post-messianique et va durer “jusqu’à la fin des temps”, selon le Texte. En gros, le message des Évangiles est : n’attendons plus sauveur, car il est venu et on l’a tué. Si on le cherche encore, on a qu’à lire le livre de l’Apocalypse pour savoir où le trouver:

Je suis […] l’étoile brillante du matin

Apocalypse 22.16

L’étoile brillante du matin réfère communément à l’apparition de Vénus dans le ciel que nous pouvons voir environ deux fois par année. Il est donc toujours en train de revenir et un retour de Jésus dans la chaire serait pour la divinité de revenir sur l’Alliance, pour encore un autre monde.

He’s not coming back because He’s sleeping with me.
– Michael Jackson

De quel monde se doter?

La prophétie n’est donc pas une simple prédiction de l’avenir : ceux qui le croient se tiennent toujours prêts à leur éventuelle réalisation et voient en beaucoup de choses des signes avant-coureurs d’une fin. La prophétie n’est pas non plus une simplement vérité du monde présent. Lorsque Jésus dit que le monde passera, il n’a pas déjà passé. De la perspective de ceux qui l’écoutaient en live, c’est bien du futur dont il parle. Mais pour celui qui fait une apocalypse, il doit tenir compte des multiples points de vues sur son énoncé.

Un jour, le monde aura passé, et croirons-nous alors qu’il passera encore lorsqu’assez de temps se sera écoulé pour qu’on oublie le passage qu’on a prit d’un monde à l’autre? Eh bien oui, c’est arrivé assez tôt dans l’histoire du Christianisme et voilà 2000 ans que les chrétiens sont aux portes de la fin du monde. Ça fait deux millénaires que le monde va bientôt finir. Il est peut-être temps de passer à autre chose. C’est peut-être ce que Jésus se disait à l’époque.

Dans le récit biblique, Jésus est apparu après la reconstruction du Temple, une réalisation rendue possible par Cyrus le Grand. Par la suite, la Judée a été intégrée à l’Empire romain. À cette époque, la splendeur passée d’Israël semblait révolue : le royaume avait été perdu, le peuple déporté à Babylone, et ce n’est que grâce à Cyrus, l’empereur perse, qu’ils ont pu revenir et rebâtir le Temple. Cependant, le peuple d’Israël se trouvait alors divisé, tiraillé entre le désir d’autodétermination et la collaboration avec les forces d’occupation. Dans ce contexte, il semblait que personne n’osait intervenir, car Israël attendait depuis des siècles que Dieu lui envoie un sauveur.

Quand on attend un Sauveur, on ne fait pas grand chose pour soi-même. Nul doute que Jésus ait voulu du changement dans son monde, mais surtout dans le mode de subjectivité. En ce sens, lorsqu’on fait des prophétie, on choisi un monde duquel se doter. De celui où on est des récepteurs passifs, telle que la religion d’Israël d’avant Jésus, il a fait une armée qui se garde prête, et active, à jouer un rôle pour la fin prochaine du monde. Jésus aurait bien réussi son coup, car le mode de subjectivité a bien changé, et la prophétie du “monde qui va passer” joue encore son rôle d’activer les populations. Sous sa forme environnementale, c’est ce qui nous fait recycler. Sous sa forme technologique, c’est ce qui nous fait craindre l’intelligence artificielle.

Donc la prophétie est un discours pour causer le monde qu’on espère, celui qu’on veut et qu’on choisit parmi tous les mondes possibles. Il porte sur l’avenir en ce que c’est la direction dans laquelle on regarde, mais ce n’est pas une prédiction, c’est un façonnement, une incubation du futur et un enterrement du passé. Comme nous venons par la prophétie intervenir sur les attentes d’une personne, c’est tout le traitement de l’information qui s’en trouve altérer : nous cherchons pour des signes de la fin du monde

En conclusion…

En définitive, la prophétie ne se limite pas à une prédiction de l’avenir mais façonne activement notre monde. L’exemple de la prophétie de Jésus illustre comment une parole peut remodeler des croyances et des institutions entières, nous invitant à réévaluer notre rapport au temps, à la foi et à l’action. La prophétie demeure ainsi un puissant vecteur de changement, un appel à tourner enfin la page…

Prophétie pour un monde sans fin

En revanche, nous aspirons à un monde où l’anticipation de sa fin n’existe plus, car nous saurons qu’elle ne se concrétisera pas. Face à un monde en perpétuelle phase terminale, nous optons pour un monde éternel. Nous le désirons ainsi, car les ressources nous sont rationnées afin de les préserver pour un conflit qui n’éclatera jamais : il est temps de s’établir sur Terre une bonne fois pour toutes et y créer le paradis. Jésus a promis d’être à nos côtés jusqu’à la fin des temps, et nous voici déclarant cette fin : le temps est révolu, et la fin ne viendra pas. Si nous ne pouvons espérer de Dieu qu’il nous épargne une tragédie, ne comptons pas sur lui pour nous apporter une solution miracle. C’est à notre tour de planter, à Son image, un jardin d’où nous pourrions Le chasser.

L’avènement de l’intelligence artificielle promet un monde où l’oisiveté et la passivité sont avantageuses, car toute action fondée sur le principe même de l’action serait perturbatrice d’un ordre éternel. Nous avons atteint un moment décisif de l’histoire où, durant une période, la moitié de la population est restée chez elle, et nous avons tout de même réussi à subvenir à nos besoins essentiels. Notre capacité à nous affranchir du travail s’accroît chaque jour : déjà, la moitié de la main-d’œuvre occupe des emplois inutiles, car par crainte de donner librement, nous inventons des tâches pour justifier notre salaire.

Nous n’avons plus besoin d’être sauvés. Ce dont nous avons besoin, c’est d’être soutenus et que la Terre reflète le Ciel : que notre pain quotidien nous soit donné, que nous ne soyons plus en proie à la tentation des affamés, que nos dettes nous soient pardonnées, comme nous pardonnons les offenses, afin que nous soyons libérés du mal.

Amen

  1. Je fais référence ici à Matthieu 10:35. Dans ce passage, Jésus dit qu’il est venu pour séparer le père du fils, la mère de la fille. Il est venu semer la division dans la famille pour mettre en quelque sorte fin à cette institution telle qu’elle était. Depuis, les cultures chrétiennes connaissent ce qu’on appelle la crise de l’adolescence (qui est une particularité du christianisme) où les enfants vont se distancer du système de valeurs de leurs parents et trouver leur propre identité. ↩︎


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