Les religions : mécanique d’une machine épistémologique 101

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Que sont nos croyances si elles ne sont cette prison mentale, confortable, dont on ne sait souvent comment elle s’est construite, ni pourquoi on y est. La religion, souvent perçue comme qu’un ensemble de croyances mais en réalité c’une machine épistémologique puissante qui façonne notre compréhension du monde et notre subjectivité. Cet article se propose de déconstruire la notion traditionnelle de la religion pour révéler sa véritable essence : un mécanisme complexe de traitement de l’information qui influence non seulement nos croyances métaphysiques, mais aussi notre perception de la réalité et notre interaction avec elle.

Nous explorerons les deux aspects de la religion : le rituel, qui renforce nos croyances actuelles, et la prophétie, qui promet un dépassement de ces mêmes croyances. Cet aspect n’est qu’un volet de la religion. C’est la religion sur son mode normal. Mais il est un autre mode : et c’est celui-ci que je tenterais de mettre au jour, dans ce que je nomme « la structure des révolutions religieuses. » En examinant le processus de révolution religieuse, nous mettrons en lumière le rôle de la magie et du prophète dans la transformation des croyances collectives.

Commençons par clarifier le concept même de religion, puis d’en voir les deux volets de religion normale qui est le rituel, et de religion révolutionnaire qu’est la prophétie. Enfin, nous questionnerons la dichotomie souvent établie entre science et religion, en soulignant leur terrain commun dans la quête de connaissances et la construction de notre subjectivité. Finalement, nous étudierons le processus et l’acteur principal de la révolution religieuse : soit la magie et le bouc émissaire comme un phénomène épistémologique fondamental qui définit l’expérience humaine.

Science est religion

Nous sommes d’avis généralement que la science et la religion occupe des champs séparés, mais rien ne serait plus faux. Ils se chargent tous deux de la connaissance : toutes deux cherchent à fonder les croyances sur lesquelles notre compréhension du monde est possible. En effet, même les scientifiques procèdent entre eux sous le mode de la religion lors desdites « révolutions scientifiques ». Car pour faire de la science, ça prend un cadre théorique qui, lui, relève de la croyance. Il n’est pas faux de dire qu’une science est une religion, du moins dans ses volets fondamentaux. (Le domaine de la physique est, après tout, dans l’attente de son prochain Einstein, au même titre que les chrétiens sont dans l’attente de la prochaine venue du Christ… l’attente de celui qui vient.)

La question scientifique à se poser ne cherche pas à savoir « laquelle est plus vraie que l’autre », mais pour qui chacune de ces conceptions puisse être vraie et surtout si l’une permet l’autre. Opposer la science de la physique au christianisme en polémiste au temps du procès de Galilée, c’est jouer le jeu des religions (« ma religion est meilleure que la tienne ») et non l’analyser. En effet, science et christianisme, tel que conçu dans ce pseudo-article, occupent les mêmes plates-bandes et se chargent des mêmes éléments de la vie de l’esprit : les croyances architectoniques. Une religion n’est ni un texte sacré, ni un mode de vie, ni un ensemble de croyances, ni un culte rituel… C’est d’abord et avant tout une machine épistémologique qui se charge de la formation, de la vérification et de l’articulation de croyances et de narratifs qui en découlent.

Il faut bien garder en tête qu’une machine n’est qu’un ensemble de mécanisme remplissant une fonction de traitement de l’information. C’est ce que font les religions : elles utilisent « Écrits Sacrés », rituels, communautés, institutions et individus pour traiter de l’information, qui peut être si élevée en abstraction qu’elle en vient à traiter de croyances plus élevées telles que les croyances surnaturelles et métaphysiques. Il ne faut pas tomber dans le panneau et croire que ces croyances ne peuvent qu’être « hallucinations » comme le font les NuAtheists qui pousse l’audace jusqu’à tenter de prouver la non-existence de Dieu (ce qui est, logiquement, une entreprise douteuse voir impossible &, ironiquement, très chrétien de leur part, et j’y reviendrai dans un prochain article). Ces croyances ont ses effets sur toutes sortes de sphères de l’activité humaine : langage, rationalité, psychologie, politique et j’en passe. En sommes, le domaine spécifique commun de toute religion est celle du mode de la subjectivité et les croyances qui viennent la former : toute religion cherche par ses croyances à former des sujets : c’est leur finalité.

Qu’est-ce que ça veut dire exactement? Difficile à expliquer en profondeur, mais facile à résumer ainsi : c’est ce que c’est que d’être. « Je pense donc je suis » : Il a fallu les Méditations métaphysiques de Descartes pour ancrer la méthode scientifique, « la fonder » en un édifice qui se tienne et ça ne prendrait rien de moins que des méditations religieuses accompagnés d’expériences mystiques de la part de leur auteur[1].

La prophétie comme promesse du rituel

Qu’est-ce que sont donc les croyances que la religion peut adresser et en quoi constituent-ils un mode de subjectivité? Allons-y d’abord par la question du sujet. Dans la distinction sujet/objet, l’objet semble avoir la grosse part du gâteau ontologique et s’avère être une chose concrète, alors que le sujet semble n’être pas plus qu’un observateur, ou tout au plus, une chose qui pense. C’est en ce qu’il est ce penser, d’un type « (perce)voir », qu’on pourrait résumer le mode de subjectivité de la science.

Le sujet n’est pas qu’un observateur passif, il possède des croyances qui lui sont propres et distinct des objets. Par exemple, la confiance et le sentiment de sécurité ou la méfiance et la crainte d’un danger qu’on a envers un total inconnu qu’on croise la nuit dans une ruelle est totalement indépendante de la réalité de l’objet qu’est l’inconnu. Si je croise un homme dans une ruelle, ce sont mes croyances, soit que le monde est sécuritaire et amical, soit dangereux et hostile, qui prescriront ma réponse à la situation. Dans tous les cas, étant une croyance, elle prescrit la même réponse aux mêmes situations : toutes les fois qu’on croiserait un homme dans une ruelle nous faisons les mêmes mouvements, exprimons les mêmes émotions de la même façon et prononçons les mêmes paroles. Les croyances prescrivent ce que nous appelons un rituel.

Un rituel est un ensemble de gestes codifiés qui, dans leur exécution, présentifient les croyances dans une performance qui rend hommage aux croyances tout en permettant leur dépassement. L’hommage rendu aux croyances, c’est de les renforcer via la performance. Leur dépassement est ce qu’on appelle la prophétie et dans tous les rituels se trouve, ou se cache, une prophétie. À force d’itération, les rituels acquièrent un effet de renforcement des mêmes loops de pensée s’opérant dans les mêmes circuits neuronaux dans le corps (à chaque pensée se trouve un circuit neuronal qui lui soit associé. La croyance se présentifie par ce rituel, et ce pour deux raisons : une raison cultuelle (rendre hommage à nos croyances) et une raison épistémologique (assurer la validité de nos croyances en en permettant la falsification). Ainsi, les croyances, par la religion, sont bien vivantes. Le rituel sert à renforcer les croyances du présent (pour se convaincre qu’on a bien raison, que nos croyances ou nos dieux sont les bonnes), tout en permettant de les surmonter via la réalisation de la prophétie qui s’y terre.  La prophétie reste une volonté, « un souhait », qui soit tournée vers le futur.

Pour reprendre l’exemple de l’inconnu dans une ruelle : si la personne x qui est terrifié du potentiel ennemi qu’elle découvrirait en l’inconnu a ne part pas en fuite, mais accepte de s’engager dans le rituel de « croiser un inconnu », généralement, ces gestes sont posés : 0 – rester en mouvement tout le long du rituel; 1 – faire un contact visuel avec l’inconnu (pour l’avoir à l’œil et s’assurer que ce n’est pas une personne connue de nous) et si on se sent en sécurité, peut-être échanger un sourire poli et un bonjour (stratégies de pacification du potentiel ennemi); 2 – poursuivre une trajectoire qui ne communique aucune intention vis-à-vis notre interlocuteur (confirmer que le sourire/bonjour n’est pas de la chaleur amicale); et 3 – sans se retourner, rester à l’affut de la position de l’inconnu jusqu’à ce qu’il ne soit plus dans notre champ de perception (être prêt à répondre à une attaque de l’ennemi). Toutes les étapes de ce rituel, cependant, peut être subverti, et peut-être, demande à l’être. C’est la prophétie qui s’y cache : il serait plus logique, si nous croyons vraiment au monde-danger et à l’inconnu-ennemi, de simplement partir à courir dans l’autre sens et trouver un autre chemin que cette ruelle. Cependant, ce rituel permet une espérance d’un monde meilleur où un inconnu serait un potentiel ami : elle permet suffisamment de rapprochement ou de contacts pour qu’un inconnu hors-norme défie toutes les attentes et retourne sur elle-même chaque partie du rituel, et contre toute attente, mais en réalisant la prophétie, cause un coup de foudre envers l’inconnu. C’est en cela que le rituel contient virtuellement une prophétie. Sans cette possibilité entretenue, la croyance en l’inconnu-ennemi ne serait que délusion.

Le phénomène religieux se révèle alors comme une machine épistémologique de haut calibre et les croyances ainsi que leurs prescriptions rituelles un moyen sûr de naviguer le monde. Les rituels empruntant toujours les mêmes circuits neuronaux forment une prison mentale condamnant l’individu et la collectivité toujours au même tout en possibilisant la sortie vers la liberté de cette même prison. Mais comme il est circuit neuronal (et électrique), il peut être rebranché, remodelé, par la magie d’un génie religieux. Ce génie religieux, nous l’appelons prophète : c’est cet individu hors-norme, extraordinaire, qui prend conscience des rituels, et agit de façon à les subvertir positivement pour ceux qui y sont prisonniers.

La prophétie a ce caractère de promesse du rituel, en ce que les croyances sur le monde sont largement des croyances négatives qui laissent peu d’espoir en un salut. Cet espoir est la prophétie et sa réalisation est le salut. En effet, passer d’un monde où un inconnu est un ennemi à un monde où un inconnu est un potentiel âme sœur est pour le coup très salutaire. Pareillement, en sciences, nous avons un narratif nous diminuant de plus en plus, au point où nous nous percevons, planétairement, comme qu’un simple point bleu dans un vaste océan de vide principalement, mais avec assez de non-vide pour que notre non-vide ne semble qu’un point plein parmi des milliards d’autres. Nous attendons le prochain Einstein, et je crois qu’il sera celui qui nous referra nombril de l’univers d’une certaine manière. En dernier exemple, Jésus a ouvert la voie pour la conception de l’après-vie et la chance d’une éternelle félicité en gagnant une place au paradis : avant la révolution de Jésus, nous vivions, tout simplement, et à la mort, allions au Shéol, une sorte de néant où seule une poignée de saint auraient le droit à une résurrection corporelle : rien de plus qu’un retour et non une sorte de buffet de bien-être tel qu’on conçoit le paradis dans le christianisme (et l’Islam).

Bouc émissaire: magicien révolutionnaire

Le processus par lequel une religion puisse renforcer, modifier ou remplacer les croyances à partir des rituels est celui de la magie sympathique, le plus souvent combiné au à celui du processus d’identification. Nous nous identifions tous en quelques sortes à ceux de notre collectivité et s’y rapportons sur le mode de l’égalité de droit. Les mêmes règles s’appliquent à tous. Ainsi, si nous croyons que cet inconnu dans la ruelle est un danger, notre croyance en l’égalité nous fera assumer qu’il pourrait être un danger pour n’importe qui et voilà pourquoi nous allons dire à un proche de faire attention aux inconnus dans les ruelles la nuit et en retour. Le proche lui-même commencer à les craindre et ainsi a créé un nouveau converti.

L’action du prophète opère lorsque la magie sympathique se trouve à la fois comblée et subvertie. En plus de l’égalité ou de la semblance entre le prophète et les croyants, étant tous deux humains, il s’y ajoute une altérité qui mènera à une réévaluation des croyances, une transvaluation. Prenons l’exemple de Jésus : il est humain et divin à la fois, donc il possède assez de semblance et d’altérité pour bien opérer son tour de magie et produire ce qu’on appelle « La Bonne Nouvelle » et passer de la religion d’Israël à celles du Judaïsme et du Christianisme. C’est par la mort de Jésus (respect du rituel sacrificiel) et sa résurrection (subversion des attentes et confirmation des espoirs) que s’opère la révolution. Ainsi, ce qui vaut pour Jésus vient valoir pour tous les autres mortels par la magie sympathique. Si un mortel a pu vaincre la mort, tous les mortels peuvent croire en leur vie après la mort. C’est ainsi que l’enfer et le paradis, qui ne figuraient pas dans la religion d’Israël, sont devenus des dogmes répandus par le christianisme. Les croyances, par l’action du prophète, ont été chamboulées : la libération de la prison du passé qui ne voyait que la mort puis le néant, sauf peut-être une résurrection si on a été un saint, pour la nouvelle prison de la vie éternelle après la mort est ce qu’on appelle la Bonne Nouvelle. La mort n’est plus la fin pour nous. La résurrection de Jésus venait « révéler » un monde complètement différent de ce qu’on se figurait et le Dieu qu’on croyait si grand, sublime et terrifiant, se retrouve, comme nous, des être capable d’un amour profond et de miséricorde.

Ainsi, la religion d’Israël s’est trouvée scindée en deux : ceux qui ont refusé la nouvelle prison mentale pour garder l’ancienne ce sont fait appeler Juifs et ceux qui ont cru en ces nouvelles croyances et donc que depuis for longtemps la tradition faisait fausse route, se sont nommé Chrétiens. C’est parce que le rituel sacrificiel (ayant mené à la mort de Jésus) a été exécuté selon les règles de l’art :

« Quand en ton sein, en l’une de tes portes que YHVH ton Élohim te donne, se trouve un homme ou une qui fait le mal aux yeux de YHVH ton Élohim, pour transgresser son pacte […] À la bouche de deux témoins ou de trois témoins, il sera mis à mort, à mort. […] En premier, la main des témoins sera contre lui pour le mettre à mort, puis la main de tout le peuple en entier. Brule le mal en ton sein. » Deutéronome 17:2-7

C’est aussi réalisé la malédiction de YHVH advenant le cas d’une rupture du Pacte.

« Vous mangerez la chair de vos Fils. »

Lévitique 26:29

« Voilà le peuple : […] il boira le sang des victimes »

Nombres 23:24

« Pendant le repas, Jésus prit du pain et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit : puis le donnant aux disciples, il dit : ‘Prenez et mangez, ceci est mon corps.’ Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna : ‘Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés…’ » Matthieu 26 :26-28

La malédiction réalisée de façon symbolique a aussi contribué à la transvaluation qui suivi le passage de Jésus.

            C’est en tant que bouc émissaire que Jésus fut en position d’opérer cette « transvaluation ». Il fut mis à l’écart, traité différemment des autres tout en étant soumis et ayant subi la même loi. Il fut (prot)agonisé et (ant)agonisé à la fois. C’est en étant dans ce rôle de bouc émissaire, et en le comprenant qu’on peut ainsi arriver à modifier les croyances. Le bouc émissaire a cette fonction d’unir la collectivité qui se retourne contre un de ses membres et lui procure la position parfaite pour être prophète : assez similaire pour que la magie sympathique et le processus d’identification opère et assez différent pour subvertir les rituels et réaliser les prophéties et ainsi à modifier nos croyance.

En conclusion

Les religions sont des phénomènes beaucoup plus vastes et plus proches que le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, l’Hindouisme, le Bouddhisme, et j’en passe, ne portent à croire. C’est le cas de le dire, partout où il y a croyance il y a religion : c’est l’ensemble des mécanismes épistémologiques (la machine) qui produit, reproduit, livre et délivre des croyances qu’on peut qualifier comme religion. Le changement d’une religion à une autre, la transvaluation est toujours surprenante! Ce n’est jamais comme on s’attend que ça soit : ainsi, avoir une image toute tracée de ce que serait la réalisation des prophétie revient à se buter sur la répétition des mêmes croyance. Il faut qu’on soit tiré de notre monde, notre prison de croyances, par l’inattendu : l’espoir qu’on ne savait même pas qu’on entretenait se trouve alors validé, le plancher se dérobe sous nos pieds, et on se retrouve dans un tout nouveau monde à explorer. C’est littéralement par la magie d’un bouc émissaire que ces révolutions sont le plus à même de se produire. Le christianisme et l’astrophysique d’Einstein sont de bons sujets d’études pour le sujet : tous deux sont des religions qui ont émergé d’une autre religion, avec des paramètres bien assez clairs et documentés pour pouvoir analyser le phénomène de la réalisation de la prophétie. Il ne manque probablement plus qu’à ce que quelqu’un prenne sur lui de faire avancer l’humanité dans le prochain monde : ce quelqu’un serait à même, je l’espère, de pouvoir unir les religions, incluant la science, avec la réalisation la plus inattendue de toutes les prophétie. C’est le projet que je, Messy Erzast, s’est proposé de réaliser.


[1] Descartes, en effet, eut des expériences mystiques autour de ses Méditations métaphysiques : des rêves obscurs ou éveillés, des expériences qui dépassent l’entendement. Le mysticisme est à la base, semble-t-il, de toute « fondation », de tout savoir d’ordre supérieur.


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