Socrate, Platon, Aristote: la vérité

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Socrate sachant qu’il ne sait rien et qu’il est le plus sage de toute la Grèce sait que les autres ne savent pas plus que lui, se met à contrecarrer tous les discours de l’élite en montrant que tous ont tort. Platon transforme ce Socrate : il le fait passer non pour celui qui vient détruire la prétention à la vérité de tous les discours, mais comme celui qui possède la vérité et la partage dansses discours. Le narratif passe de « vous avez tous torts » à « moi, j’ai la vérité ». Aristote croira au concept de vérité et se liguera contre tous ceux qui n’y portent pas révérence : les sophistes. En vérité, Socrate était contre tous les sophistes, tous les rétheurs; pourrons-nous peut-être dire tous les orateurs publics. Platon, lui aussi sophiste, se réapproprie Socrate dans ses dialogues pour dire qu’une vérité existe et qu’il peut la partager à l’Académie. Il cherche tout autant que les autres sophistes à former des orateurs à Athènes et il réussit à produire le plus grand sophiste de tous les temps : Aristote, le premier sophiste qui est persuadé de n’être pas un sophiste, soit, le premier philosophe. Cette thèse plonge dans les fondements de la philosophie, de la connaissance et du concept même de vérité.

Mise en scène

Nous sommes dans l’Athènes antique où la démocratie, et donc la rhétorique, règne sur le peuple. Tout citoyen puissant l’était parce qu’il parvenait à convaincre les autres citoyens de voter dans son sens. Naturellement, c’est une arène où tout le monde est contre tout le monde. Les parents veulent que leurs fils deviennent les meilleurs orateurs publics afin de faire profiter la famille dans les enjeux politiques. Les Grecs envoient donc leurs fils chez des sophistes qui leur enseignent l’art de convaincre les autres citoyens.

À ce stade, le concept de vérité n’a pas vraiment d’importance, du moins pas pour l’élite : le jeu est de convaincre les autres. La vérité était quelque chose que l’on créait pour les suiveurs. La « vérité vraie » indépendante des discours et à laquelle les discours doivent payer leurs respects pour être bons est une notion totalement contre-intuitive. Le mot même de vérité en grec ancien, aletheia, renvoie à un dévoilement de ce qui est précédemment hors de vue, et non pas à une vérité indépendante de toute vision, voire indépendante tout court.

Le concept de vérité aurait donc été inventé, comme par magie, par Platon lorsqu’il renversa sur sa tête Socrate, et produisi Aristote qui, y ayant cru, en aurait été son plus grand porte-parole et a par sa postérité rivalisé les Textes Sacrés dans les plus grandes religions mondiales.

Socrate, envers et contre tous

Socrate apprend de l’Oracle de Delphes qu’il est le plus sage de tous. Mais il ne sait rien, et il le sait. S’il sait qu’il ne sait rien, et qu’il est le plus sage, c’est donc que personne ne sait quoi que ce soit. Il voit pourtant depuis toute sa vie tous ces nobles gens convaincre la population comme s’ils savaient tout. Il sait maintenant que personne d’autre ne sait quoi que ce soit et qu’ils font tous semblant. Avec cette nouvelle confiance en sa sagesse, il part à la conquête d’Athènes.

Il commence à parler à tous ceux qui semblent savoir quelque chose, juste pour montrer à tout le monde qu’ils sont tous ignorants comme lui. C’est parce qu’il sait qu’ils ne savent pas plus que lui que Socrate parvient à trouver le chemin réthorique pour démanteler le semblant de logique. Les sophistes s’en trouvent mis à mal, car qu’importait ce dont ils voulaient convaincre Socrate, Socrate trouvait moyen de leur montrer qu’ils ne savent rien… car il ne sait rien lui-même. Comment désarmer un faiseur d’opinions ? Ne simplement pas en avoir le rend impuissant.

Les citoyens puissants y voient une menace pour leur pouvoir. Socrate minait les voix des puissants et les décrédibilisaient aux yeux de tous. Alors que le jeu est une lutte de tous contre tous, Socrate force l’élite à coaliser pour se débarrasser de Socrate. Le reste de l’histoire est bien connue, il est condamné à boire la cigüe et mourir pour avoir été reconnu coupable d’impiété en « introduisant des divinités nouvelles dans la cité » et « corrompant ainsi la jeunesse ».

Platon contre-façonne l’anti-Socrate

Platon était comme tous les autres sophistes. Il essayait d’enseigner aux fils à convaincre les autres citoyens. Et il a vu une opportunité en or avec Socrate pour se hisser au dessus de tous les autres sophistes. Socrate avait montré à tout le monde qu’ils n’avaient pas la vérité alors qu’ils prétendaient l’avoir. Il avait retourné l’arme de l’élite contre elle-même. Platon va capitaliser sur la mort de Socrate pour en faire une figure prométhéenne, donnant la vérité au monde qui n’était pas prêt à la recevoir. Platon, peut-être avait-il réellement suivi Socrate, a fabulé à son sujet et a créer une école de rhétorique toute à fait unique: la première école auto-négatrice de rhétorique.

Alors que Socrate disait « aucun de vous n’a raison », Platon en a fait un « j’ai raison, j’ai la vérité ». Et ainsi, Platon a inventé la vérité comme une chose réelle et indépendante de tous les discours. Si Socrate avait le dessus sur tous les sophistes, ça n’était pas par une sorte de folie divine qui l’occupa lorsqu’il allait contre toutes les rhéteurs de la cité après avoir été infecté de l’idée qu’il était le plus sage. C’est un Socrate qui sait que nous allons retrouver dans les discours de Platon. Un Socrate qui ne fait pas que jeter le discrédit sur les discours de l’élite, mais qui accompagne les interlocuteurs vers la vérité qu’il aurait lui contemplé, et les autres non.

À y réfléchir, c’est de cela qu’il s’agit vraiment dans l’allégorie de la caverne de Platon. L’élite déplace les objets devant le feu pour projeter des ombres sur le mur. Les prisonniers sont les autres citoyens, qui regardent les ombres comme si c’étaient des choses réelles. Ils ne sont pas de ceux qui font le spectacle et ils n’ont pas de notion d’artifices comme les sophistes et rétheurs qui savent comment se fabriquent les discours. Platon invente la figure du philosophe qui se détourne du feu pour sortir de la caverne et contempler le réel soleil de la vérité. Mais Platon lui-même ne croit pas en la vérité, sa théorie est le méta-artifice. Sa théorie des forme est le noble mensonge ! Le noble mensonge dont il avait besoin parce qu’il essayait de faire quelque chose de grandiose : Aristote. Platon se hisse au-dessus de tous les autres sophistes en les discréditant pour leur qualité de faiseurs d’artifice tout faisant dire à Socrate « moi, mon discours n’est pas un artifice car j’ai contemplé les formes véritables et je (vous) les remémore. »

Aristote dupé dupe le monde

Aristote est la plus grande création de Platon. C’est le premier sophiste qui n’avait pas conscience d’être un sophiste. Le premier sophiste qui croyait en la vérité indépendante des discours et à laquelle les discours doivent se ranger pour être crédibles. Et ainsi, Aristote est devenu le premier philosophe, et le plus grand de tous les temps. La notoriété d’Aristote rivalisait celle de Dieu chez les intellectuels chrétiens tels que Saint-Thomas d’Aquin, et chez les philosophes de la falsafa musulmane. Dans les deux premières religions mondiales, les écrits d’Aristote et les Textes sacrés devaient en quelques sorte être réconciliés. Platon a introduit une nouvelle divinité, la vérité, avec laquelle Dieu lui-même devait composer.

Aristote croyait tellement en la vérité qu’il en a inventé le principe de non-contradiction dans ses Métaphysiques, au livre Gamma chapitre 4. Il dit que le principe de non-contradiction ne peut pas être prouvé, mais que, puisqu’il n’est pas possible, lors d’une assemblée, dans une proposition donnée, de voter à la fois pour et contre, il a élevé cette règle de la politique en démocratie en une véritable affirmation métaphysique. C’était la meilleure arme contre les autres sophistes, ceux qui ne croyaient pas en la vérité et se contredisaient tout le temps. Mais en vérité, le principe de non-contradiction est une fiction. La nature se contredit tout le temps: « il pleut et il ne pleut pas » est certes contradictoire, mais c’est aussi une tautologie en ce qu’il pleut toujours quelque part alors qu’il ne pleut pas ailleurs. Une contradiction n’est pas synonyme de discours « non-vrai ». Prétendre le contraire relève souvent du sophisme de la pente glissante lorsqu’on dit des choses du genre « si on accepte une contradiction, alors on peut prouver n’importe quoi » comme si qu’il pleuve et ne pleuve pas pouvait servir à prouver que les licornes existent!

Aristote pouvait simplement pointer leurs contradictions et il discréditait l’orateur public aux yeux des suiveurs qui n’avaient pas conscience de tous les artifices qui allaient dans la fabrication des discours. Il était si puissant contre les citoyens de l’élite qu’ils se sont à nouveau regroupés pour se débarrasser d’Aristote qui dérangeait trop. Aristote s’est fait exilé d’Athènes car sa conviction de vérité avait le même effet que la connaissance de l’ignorance de Socrate. Ils ne l’ont pas tué cette fois parce qu’ils avaient réalisé qu’en capitalisant sur la mort de Socrate, Platon en avait fait un martyr et a pu inspirer un second Socrate encore plus puissant en la personne d’Aristote, et d’autant plus dangereux car il pouvait se rallier les foules autour d’une vérité présumée tout en les éloignant des autres rhéteurs. Un Socrate qui ne disait pas seulement « vous ne savez rien », mais qui avait aussi créé la conviction qu’il savait quelque chose.

Conclusions

Cela explique pourquoi Platon ne s’est pas mis en scène dans ses dialogues! C’est comme s’il savait qu’il faisait quelque chose de sale et qu’il ne voulait pas que son propre nom y soit inscrit à l’intérieur. Pourtant, tous ses dialogues ne sont pas sa véritable philosophie, et se résume à un noble mensonge qui a servit à faire accoucher la conception philosophique de la vérité.

Platon était le plus grand sophiste de tous les temps, qui a produit le meilleur orateur public de tous les temps. Aristote était si bon qu’il a dû être exilé parce qu’il écrasait toute la concurrence au point que la concurrence s’est liguée contre lui comme ils l’avaient fait à Socrate avant lui. De son exil d’Athènes, c’est Alexandre le Grand lui-même qui le recrute pour être son enseignant.

Les textes d’Aristote sont ensuite devenus les plus importants jusqu’à la Renaissance. Les philosophes islamiques considéraient Aristote comme le plus grand penseur, et même les scolastiques chrétiens comme Thomas le tenaient en si haute estime qu’ils ont essayé de réconcilier les textes d’Aristote avec la Bible, et le Coran pour les falsafin. Platon a ventriloqué Socrate, produisant ainsi Aristote qui a inauguré la religion de la vérité, qui n’est rien d’autre que la philosophie, laquelle est à la mère de toutes les sciences.

Questions

Ce narratif soulève plusieurs grandes questions. À gratter la surface de la philosophie, y trouve-t-on quelque chose de plus grand ou de plus petit que la sophistique? La philosophie n’aurait-elle pas inventé le pire des dieux qui soit: celui qui soit tout à fait indifférent à nous, impossible de rejoindre, et nous détermine en même temps de part en part? Au moins Dieu des monothéismes n’intervient pas pour préserver notre libre-arbitre… mais la vérité, n’est-ce pas ce qui intervient tout le temps? La vérité existe-t-elle réellement ou bien n’est-elle que la croyance dont nous a convaincu Platon? La religion de la vérité, dont les scientifiques sont les prêtres, nous sert-elle ou est-ce nous qui la servons? Après tout, si nous ne pouvons jamais être certains d’avoir atteint la Vérité, nous sommes tous toujours condamnés à avoir tort.


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