Des déesses et des hommes


Que diriez-vous si je vous disais que les premiers dieux pouvaient être fréquentés, vus en chaire et en os? Vous ne nous croirez peut-être pas. Et si je disais que les premiers dieux étaient en fait des déesses et chaque femme en était une? Vous resteriez peut-être sceptiques, mais peut-être garderiez vous l’oreille attentive.

Cela peut paraître surprenant, mais la division sexuelle de la reproduction entre les mâles et les femmelles serait à la source de notre notion de divinité. En effet, l’enfantement et l’allaitement procuraient aux femmes un certain panache, comme une faculté de donner la vie dont les hommes étaient en apparence dénués. Avant que le rôle du sperme n’ait été connu, il apparaissait tout comme que les femmes créaient des êtres humains un peu comme par magie. Cela leur conférait un statut de symbole total de la vie.

Mais ce pouvoir fût renversé et en est né l’agriculture qui a mené à l’existence humaine que nous connaissons. C’est par abstraction du symbole que représentait chaque femme que ceci aurait eu lieu : la vénération des femmes a mené à leur représentation en arts, ces représentations explicitait le symbole qu’elles incarnaient, et ainsi née la notion de symbole se sommes-nous mis à faire des symboles explicitement masculin : les monuments phalliques tels que les obélisques. Décortiquons ces idées-là.

Les premières divinités

Les femmes étaient les premières divinités : ce sont, après les animaux, les premières figures humaines dépeintes par nos artistes. En effet, lorsqu’on étudie l’art d’il y a plus de 12,000 ans dans la région du Levant, là où apparu l’agriculture, nous constatons que la vénération était celle des femmes, souvent dépeintes en compagnie d’animaux. Ce ne sera que pendant le Néolithique que prolifèreront les formes phalliques. Avant cela, c’était le féminin qui l’emportait.

Ce serait obnubilés par le mystère de l’enfantement que les premiers hommes vénéraient les femmes en tant que Créatrices. Avant qu’on ne connaisse le rôle du sperme de l’homme dans l’enfantement, il semblait que ces femmes donnaient naissance un peu comme par magie; obtenant quelque chose à partir de rien. Elles semblaient donc être une version perfectionné des hommes.

Bien sûr, il y avait des rapports sexuels, mais les individus s’y engageaient pour le plaisir avant qu’ils ne doutent que ce soit l’ensemencement des femmes par l’homme qui soit à l’origine de l’enfantement. C’est cette découverte de l’ensemencement et l’application systématique de cette connaissance qui mena autant à l’agriculture qu’aux symboles phalliques de vénération masculine.

Avant cela, les femmes étaient obéies. De leur perspective, celle de déesses, c’est leur parole qui crée les états de choses, car ils n’ont qu’à ordonner pour que les hommes s’affairent à leurs obéir. Voilà qui a de quoi éclairer le mythe transmis dans le livre de la Genèse : le récit aurait donc été raconté depuis la perspective de la femme, alors Déesse, qui aurait fabriquer les hommes un peu comme on fabrique de la poterie.

Le statut de l’homme était alors celui d’esclave ou encore d’objet sexuel pour les femmes. Les hommes n’avaient pas réalisé leur pouvoir et étaient complètement soumis aux femmes qui étaient pour eux source de vie, symbole totale de leur existence.

La totalité de la vie

Ce qui asseyait le pouvoir de la femme sur l’homme était le symbole qu’elle incarnait. Or, avant qu’elle n’apparaissent comme symbole, car la notion n’existait pas encore dans leur esprit, elles incarnaient toutes et chacune la totalité de l’existence : elles donnent naissance par la grossesse et l’accouchement et puis nourrissent du lait maternel par l’allaitement.

Alors que la reproduction de son existence et de l’espèce est le principal souci de n’importe qui, la vie elle-même représente la totalité de l’existence d’un homme. Disons que c’est son point de référence ultime et que toutes choses sont nivelées par rapport à la reproduction de la vie : c’est le centre de la conscience. Comme la conscience n’a pas encore conscience d’elle-même, et qu’en quelques sortes, elle ne se voit pas, c’est dans la femme que la conscience se reconnaissait. La femme représente la vie elle-même, ce à quoi la conscience est en entière dédiée.

À ce stade, le symbole est parfaitement confondu avec le corps féminin : il n’y a pas encore eu d’abstraction. Cela viendra plus tard. Mais déjà retrouve-t-on des figurines représentant des femmes plantureuses pour dénoter leur fertilité. La représentation des femmes en art a été la première étape vers la découverte du symbole de la vie.

Il n’est donc que naturel pour l’homme de se vouer à la femme car son souci ne concerne que la reproduction de son existence : se nourrir et se défendre contre les prédateurs. Pour la femme qui se faisait servir par des hommes, comme pour les riches de ce monde, les soucis sont plus diversifiés. Les femmes seraient à l’origine de toute culture, car dispensée du labeur que font les hommes, elles ont l’espace mental pour fonder quelque chose d’autre, de nouveau.

L’invention du langage

Lorsqu’on se fait servir et qu’on n’a pas à se soucier du labeur, nous pouvons se mettre à la recherche de nouveaux modes d’existence : ce serait ainsi que l’humain aurait appris à s’habiller, qu’il aurait appris à cuire la nourriture, etc. Ces innovations seraient celles des femmes qui avaient du temps à allouer à l’amélioration des conditions d’existence.

Le langage lui-même serait une innovation du rapport entre les genres ou les sexes : c’est l’outil de domination par lequel les femmes pouvaient ordonner quoi que ce soit aux hommes. C’est pour rendre possible leur pouvoir que le langage aurait été inventé. Celui-ci aurait servi par la suite aux hommes à se coordonner pour aller chasser l’animal (tel que demandé par la femme, en toute probabilité). Autrement, certains animaux apparaissaient si inchassables qu’ils les auraient déifiés un peu comme les opposés du symbole total de la vie, son pendant de mort.

L’homonormalité et l’hétéronormativité

Le langage a aussi été utilisé pour raconter des histoires. Ce sont par ces histoires que la première idéologie a vu le jour : celle de l’hétéronormativité. Ce sont par les histoires que les femmes attiraient les hommes à elles en faisant du retour au vagin, là où ils sont venus au monde, leur objectif ultime. Les femmes se seraient rendues attirante en racontant des histoires aux hommes.

Encore aujourd’hui, dans les histoires qu’on raconte avec un personnage principal masculin, il y a toujours une bien-aimée dont il cherche à s’amouracher. Le récit hétérosexuel est un fait social total : il y a une hégémonie hétérosexuelle qui s’auto-renforce car les hommes grandissant en se faisant dire qu’ils doivent pourchasser les femmes en font une de leurs missions de vie et se mettent à leur tour à raconter des histoires rendant les femmes attrayantes à leurs yeux et à ceux d’autres hommes.

Pourtant, pour qui s’aime vraiment, c’est-à-dire à l’infini et sans condition, il est plus normal de préférer ceux qui sont comme soi que ceux ou celles qui en sont différents et différentes. En ce sens, l’homosexualité est tout à fait normale. C’est l’hétérosexualité qui a besoin d’une structure normative pour se renforcer. L’homonormalité naturelle et l’hétéronormativité culturelle ont mené les hommes par le bout du nez depuis des millénaires. L’un était réprimé entre les hommes et l’autre était créé artificiellement par les femmes.

La découverte du symbole

Pour qui sert l’autre, le rapport de domination semble injuste et arbitraire. Un homme aurait facilement pu se dire, en utilisant le langage, « Pourquoi pas moi? Pourquoi ne suis-je pas né femme? Qu’est-ce qui fait que les femmes ont un tel pouvoir sur nous? » C’est en cherchant à s’arracher au joug des femmes que l’abstraction s’est opérée : la vénération des femmes comme déesses créatrices pouvait très bien se transposer à l’homme.

C’est donc en opérant une abstraction que s’est découvert le symbole que représentait les femmes. Leur pouvoir était commun : elles avaient toutes le même pouvoir malgré la variation dans leurs apparences et leur tempérament. La vénération des femmes se poursuivait dans leurs arts : ce sont des figurines de femmes qu’ils fabriquaient. Et que dire de leur poterie? Ce sont des courbes tout à fait féminines avec une embouchure dans laquelle on peut insérer des objets, rappelant le vagin. La poterie symbolise le féminin.

Le culte de la femme s’est ainsi révélé au grand jour. C’est en vénérant les aspects féminins que les femmes parviennent à garder leurs assises : on en fait des figurines, on en fait des objets qui ressemblent à leurs corps et appareils génitaux… C’est que la vie toute entière tourne autour des femmes : elles donnent naissance, elles donnent le lait, elles donnent la vie… C’est donc que les femmes sont le symbole de la vie.

La révolution symbolique

C’est tout une révolution dans le mode de l’existence qui verra le jour lorsque les Levantins ont opéré la transition radicale du nomadisme au sédentarisme et du matriarcat au patriarcat. Déjà les principes de l’agriculture étaient connus avant que les humains ne s’y soient mis. Il était su qu’on pouvait planter des graines d’un fruit pour faire pousser une plante qui donnera du même fruit. Mais on ne l’appliquait pas cette connaissance de façon systématique pour se nourrir et reproduire l’existence.

On vivait alors dans la nature, selon ses caprices, parfois dans l’abondance, d’autres fois dans la famine tout comme on vivait dans la communauté selon les caprices des femmes. Or, avec la révolution de l’agriculture vient aussi une révolution symbolique : ça n’est plus les caprices de la nature ou des femmes qui sont centrales à la vie. C’est la graine, la semence, appliquée dans la terre et les soins donnés de façon systématique qui prend la place du lait maternel.

C’est alors qu’une refonte complète de la vision du monde commence à s’opérer entre les hommes qui cherchaient à renverser le joug des femmes. Et ce sera en même temps que se découvre le rôle du sperme dans la création des enfants. « Le sperme des hommes, c’est comme la graine du fruit, et le vagin des femmes c’est comme la terre d’où pousse l’arbre fruitier » s’est un jour dit un génie.

Qu’est-ce qui a déclenché cette révolte contre le pouvoir des femmes? Et surtout, qu’est-ce qui a fait que ce mode d’existence s’est répandu à travers le monde jusqu’en devenir le modèle de base de l’humanité? Qui a mangé du fuit défendu en premier menant à l’éjection du Jardin d’Éden? Était-ce d’Ève (des femmes) que la transition s’est effectué vers les société agriculturales?

Les symboles phalliques étaient prédominants pendant le Néolithique, période couvrant l’an de 10000 à l’an 2000 avant Jésus-Christ, cela dit, en même temps que l’émergence de l’agriculture. Qu’est-ce qui a causé l’autre? Difficile à dire pour une époque à laquelle nous n’avons pas de traces écrites. Mais il est tout à fait possible que la révolution symbolique ait eu lieu avant la révolution agricole.

Conclusion

Était-ce donc un choix de mener son existence de manière à vouer un culte à la semence et faire des exigences de l’agriculture notre principe directeur? Était-ce pour se libérer des exigences des femmes qu’on s’est mis à l’exigence de la technique agricole en apprivoisant autant les plantes que le bétail?

C’est en tout cas, une révolution dont les conséquences nous déterminent encore aujourd’hui. C’est en effet pendant la période Néolithique que notre culture a littéralement pris racine. Avant, peut-on dire, que les hommes et les femmes n’existaient pas à proprement parler : nous avions des déesses et leurs subordonnés, appelons-les les Adams.

Il y eut donc une révolution ayant détrôné les femmes de leur statut de privilégiées. Il reste encore à élucider si cette révolution venait du côté féminin ou du côté masculin. Selon le récit de la Genèse, ce serait le serpent, symbole masculin, qui a incité Ève. Il est possible que le récit raconte l’histoire de la dénormalisation du pouvoir des femmes, car ce fruit défendu mène à la connaissance du bien et du mal, ce qui ne devait pas encore exister avant la première révolution. Au premier stade religieux, l’omnubilation par le symbole total de la vie, il n’y a pas encore de bien et de mal, il n’y a que ce qu’exige les femmes. C’est par une première révolution que naîtra le bien et le mal.

Possiblement qu’une femme ait réalisé l’injustice et, un peu comme Marx, ait fomenté une révolution chez les hommes, plus par souci intellectuel de vouloir voir l’égalité plus que par intérêt politique. Mais il est aussi possible que cela ait été une initiative purement masculine. Plus de recherche serait nécessaire pour pouvoir clarifier cette question.

En tout cas, un retour à ce Jardin d’Éden semble aujourd’hui impossible. Pourquoi lâcherions-nous tout notre confort durement acquis pour revenir à un état de nature? Qui racontait les histoires nostalgique d’un bon vieux temps où les femmes régnaient sur les hommes, soit le mythe de la Genèse, devait être de celles qui en profitait. Le récit de la Chute est bien celui de la transition à l’agriculture, et donc la chute des déesses en femmes. Il serait bon de relire la Bible en ayant en tête qu’il s’agit en toute probabilité d’un discours féminin s’adressant à des hommes.


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